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Résumé
Depuis le début du mois d’octobre 2020, le nombre de tests positifs, d’hospitalisations, d’admissions en soins intensifs et de décès en Suisse a augmenté, avec une période dedoublement initialement d’environ une semaine. La Suisse se rapproche des limites du système de santé, et en particulier des capacitésdes unités de soins intensifs. Si les hospitalisations aux soins intensifs continuent d’augmenter au rythme actuel, les lits certifiés actuellement en Suisse (environ 985 lits) devraient être occupés d’ici le 10 novembre.
Afin d’éviter de dépasser cette limite, ou de réduire l’étendue et la durée d’un dépassement, la Suisse doit diminuer le plus rapidement possible le nombre de nouvelles infections quotidiennes. Plus précisément, le nombre effectif de reproduction Re doit être ramené sensiblement en dessous de un.
Il n’y a pas de preuve pour l’instant que les mesures actuelles soient suffisantes pour réduire le nombre de cas et ainsi – avec un décalage temporel – celui le nombre d’hospitalisations, d’admissions aux soins intensifs et de décès. Cela signifie qu’il existe un risque substantiel que les limites du système de soins de santé soient atteintes et dépassées, dans le pire des cas de manière importante et sur une longue période.
Nous suggérons un certain nombre de mesures pour atténuer ce risque, pour protéger le système de soins de santé et pour atténuer les autres répercussions sur l’économie et la société. Ces actions comprennent :
- Une communication continue avec toutes les parties de la population qui met l’accent sur l’objectif commun d’arrêter la transmission et de réduire le nombre d’infections.
- Donner accès à toutes les parties de la population à des informations concrètes et exploitables sur la manière dont les gens peuvent se protéger et protéger les autres au travail et dans les situations sociales.
- Augmenter la capacité du système de soins de santé en mettant fin aux admissions non urgentes aux soins intensifs et en augmentant progressivement le nombre de lits de soins intensifs dotés d’un personnel approprié.
- Renforcer et resserrer les mesures existantes (par exemple:travail à domicile, réduction de la taille des rassemblements et des réunions privées) et prendre des mesures supplémentaires (par exemple:fermeture temporaire des bars, des restaurants et des magasins non essentiels, déplacement de l’enseignement post-obligatoire en ligne).
- Promouvoir la distanciation, les masques et l’hygiène. Dans les lieux intérieurs, une ventilation régulière et la combinaison de masques avec une distanciation physique réduisent le risque de transmission.
- La potentialisation des tests et la recherche des contacts pour surveiller la situation et interrompre la transmission. Il est essentiel d’accroître la capacité et l’accès au dépistage pour suivre l’évolution de l’épidémie en Suisse.
Les coûts économiques d’un système de santé surchargé et les effets négatifs d’une forte incertitude sur l’activité des entreprises pendant une période prolongée de taux d’infection élevés causeraient un préjudice économique important (en plus de l’atteinte à la réputation). Les mesures ciblées qui sont nécessaires pour parvenir à une diminution du nombre de personnes infectées, hospitalisées et décédées sonttrès probablement moins coûteuses pour l’économie, malgré les fonds publics nécessaires pour indemniser les entreprises et lespersonnes touchées par les fermetures et les restrictions.
Situation épidémiologique
Selon le groupe d’experts Données et la modélisation de la Task Force, il n’y a pas encore suffisamment de preuves que les mesureset que les changements de comportement de la population aient l’effet nécessaire pour atteindre un recul des nouvelles infections.
Même si certains indicateurs (tels que la baisse de la mobilité en Suisse ou le ralentissement des cas confirmés) montrent que les mesures et le changement de comportement de la population ont un effet sur l’évolution des infections, il n’y a toujours pas de preuves claires qu’un renversement de tendance ait eu lieu.
Les quatre indicateurs (basés sur le nombre de cas confirmés, d’hospitalisations, de patients Covid-19 en soins intensifs et décès) montrent tous une augmentation significative au cours des deux dernières semaines (voir figure 1). Les hospitalisations augmentent plus lentement qu’au cours des semaines précédentes. L’augmentation du nombre de lits occupés en soins intensifs a légèrement ralenti par rapport aux semaines précédentes et le temps de leur doublement estimé est passé de 7 à 8,6 jours. Les décès continuent actuellement à augmenter rapidement, avec un doublement en moins d’une semaine. Les indicateurs actuels sont à peu près comparables à la situation une semaine après le début du lockdown.
Ces tendances ne reflètent pas le niveau d’infection actuel, mais plutôt le niveau d’infection d’il y a en moyenne 8 jours (pour les cas confirmés), 10 jours (hospitalisations), 12 jours (lits de soins intensifs) et 17 jours (décès). Le taux de reproduction basé sur nos données du 5 novembre 2020 peut être calculé jusqu’au 26 octobre 2020. Nous l’estimons à 1,19 [intervalle de 1.10 à 1.34] pour la semaine jusqu’au 26 octobre 2020. Pour la plupart des cantons, nous obtenons un nombre de reproduction nettement supérieur à 1, et pour 6 des 7 régions économiques suisses, il est supérieur à 1 de manière significative (figure 2). Le dernier taux de reproduction possible basé sur les hospitalisations est celui du 21 octobre 2020 et est estimé à 1,67 [1,56-1,77]. Ces calculs sont une première indication que les mesures prises à partir du 18 octobre 2020 n’ont pas immédiatement ramené le taux de reproduction en dessous de 1. Le taux de reproduction peut être sous-estimé en raison du nombre réduit de tests effectués (la positivité des tests est actuellement de 20 à 35 %) et d’un retard dans l’annonce des données des hôpitaux. Nous rappelons qu’il y avait déjà une diminution des cas confirmésà la fin du mois de septembre,mais que celle-ci n’avaitété que de très courte durée.
Les données sur la mobilité peuvent fournir un aperçu sur la situation actuelle en matière d’infections. Diverses données sur la mobilité (par exemple https://www.intervista.ch/mobilitaets-monitoring-covid-19/) montrent une diminution continue de la mobilité à partir de la semaine du 12 octobre 2020. Toutefois, la population est nettement plus mobile que pendant le lockdown.
Le nombre de patients Covid-19 en soins intensifs est actuellement l’indicateur mesuré le plus précisément. Il est mis à jour en permanence (pas seulement quotidiennement) et est moins affecté par des biais tels que la positivité des tests. La figure 3 montre l’occupation des lits dans les unités de soins intensifs, répartie en patients Covid-19 et patients non Covid-19 urgents et non urgents. Trois scénarios d’occupation future des lits sont crééssur la base de l’occupation actuelle des lits. Deux points importants doivent être soulignés : (i) On observe une forte diminution des interventions non urgentes, ce qui représente aujourd’hui déjà une limitation de la qualité des soins médicaux pour la population ; (ii) même dans le cadre du scénario optimiste d’occupation future des lits (scénario A de la figure 3), l’utilisation des soins intensifs sera supérieure à 825 lits de soins intensifspendant plus de 4 semaines. Cela correspond à environ 93 % des lits pour adultes certifiés par la Société suisse de médecine intensive (SSMI). Cette valeur correspond aux valeurs maximales de la première vague et n’a été dépassée que pendant 6 jours lors du lockdownau printemps (il faut toutefois noter que la collecte de données n’était alors pas aussi précise qu’aujourd’hui). Dans le scénario B, cette capacité de 93 % sera dépassée pendant 10 semaines; les unités de soins intensifs seront surchargées et devront parfois refuser la moitié des patients par un processus de triage. Dans le scénario C, la limite supérieure de capacité de 1400 lits ne sera pas atteinteen raison d’une augmentation plus lente de l’occupation des lits. Néanmoins, la diminution plus lente de l’occupation des lits fera que l’occupation dépassera 93% de la limite de capacité pendant une longue période (>100 jours), au cours de laquelle le système de soins de santé sera fortement sollicité, et les procédures non urgentes devront être reportées pendant une longue période. L’affectationde patients non Covid-19 aux unités de soins intensifs serait également évaluée selon les directives de triage de l’ASSM. Cependant, tous les scénarios supposent qu’un changement de tendance aura lieu au plus tard dans 2 ou 3 semaines. Comme souligné ci-dessus, ce redressement n’a pas eu lieu et il n’est pas certain qu’il le sera dans 2 ou 3 semaine
L’évaluation actuelle de la situation épidémiologique est difficile à l’heure actuelle en raison de problèmes accompagnant le recensement du nombre de cas confirmés, d’hospitalisationset de décès. Cela est dû, d’une part, à des capacités de test limitées et à une augmentation de la positivité des tests (20-35%) et, d’autre part, à des retards dans la collecte des données. Si ce problème n’est pas résolu le plus rapidement possible, les évaluations de la situation ne pourront estimer l’effet des mesures introduites qu’avec un retard considérable.
Perspectives économiques
La première vague nous a appris que les pays qui appliquent des mesures plus sévères ne doivent pas nécessairement subir un effondrement économique plus important. D’autre part, des mesures plus sévères ont souvent permis de maintenir le taux de mortalité à un niveau plus bas. La comparaison entre le Danemark et la Suède peut être utilisée comme illustration. Les deux pays ont subi une baisse du PIB de 7,7 % au deuxième trimestre. En Suède, plus de 500 décès liés au coronaire pour 100 000 habitants ont été enregistrés, tandis qu’au Danemark, où des mesures très restrictives ont été prises, le nombre était inférieur à 60.
La plupart des pays sont étroitement liés sur le plan économique. Par conséquent, la situation internationale, en particulier pour les petites économies ouvertes comme la Suisse, est cruciale pour le développement économique. Certes, l’économie mondiale s’est redressée assez fortement et plus que prévu au cours du troisième trimestre; cependant elle était encore loin d’atteindre au début de cette nouvelle vague actuelle de la pandémie les niveaux de production d’avant la crise. Cette sous-utilisation des capacités, historiquement importante, exerce une pression particulière sur les entreprises exportatrices suisses, qui sont sensibles aux cycles économiques. Même si aucune fermeture d’usines n’est ordonnée, l’économie suisse souffrira en raison de ses relations extérieures et de l’évolution économique négative de nos partenaires commerciaux. En outre, les changements de comportement des consommateurs suisses face à l’augmentation inquiétante du nombre de cas contribuent à une baisse de la demande intérieure, bien que probablement moins prononcée qu’au début de la première vague. En d’autres termes, l’économie suisse va probablement renouer avec une croissance négative au cours du dernier trimestre de cette année, même s’il n’y avait pas de restrictions politiques.
La Confédération a agi rapidement et de manière appropriée lors de la première vague et tant les particuliers que les entreprises contribuent à surmonter cette période. La Suisse a reçu de nombreux éloges internationaux pour cela. Parmi les instruments éprouvés, on peut citer l’extension du chômage partiel, l’introduction d’allocations pour perte de gain et la mise en place du programme de crédits Covid-19. Même pendant la deuxième vague, il est socialement et économiquement approprié de soutenir les personnes touchées afin de permettre une reprise rapide par la suite. Outre la réactivation rapide de tous les instruments éprouvés, un ajustement des instruments est nécessaire compte tenu de la durée de la crise plus longue qu’escomptée. En raison du niveau d’endettement plus élevé, un soutien plus important peut être nécessaire pour les entreprises qui sont viables à long terme. D’autre part, les mesures de soutien économique ne doivent pas empêcher les changements structurels nécessaires.
Toutes les mesures qui limitent la liberté de circulation des personnes ont des conséquences négatives pour l’économie dans son ensemble. Cependant, une nouvelle augmentation incontrôlée du nombre de cas est un poison encore plus dangereux pour l’économie. Le nombre croissant de cas éloigne les clients ; aujourd’hui peut-être un peu plus tard que lors de la première vague mais probablement pour une période plus longue. Cette croissance des cas augmente aussi massivement l’incertitude des gens et des entreprises et nuisent à la confiance dans la politique et la société. De nombreuses études scientifiques montrent que cela constituerait également une lourde charge pour l’économie.
La conclusion reste que la Suisse doit prendre le contrôle de la pandémie et le garder de manière permanente, tant d’un point de vue social qu’économique. Il est bien sûr souhaitable d’atteindre cet objectif avec des instruments et des mesures qui interviennent le moins possible dans la vie quotidienne et l’économie. Les fermetures ordonnées font donc partie des dernières mesures qui devraient être ordonnées. En même temps, l’apport de fonds publics pour lutter contre la pandémie est essentiel : sur la base des preuves scientifiques disponibles à ce jour, on peut s’attendre à ce qu’il représente un investissement à haut rendement social et économique.