Résumé
L’évolution attendue de l’épidémie en Suisse dépend de la manière dont les mesures mises en œuvre sont à même de prévenir les infections et de réduire ainsi le taux de reproduction effectif du SARS-CoV-2. Si celui-ci peut être ramené en dessous de 0,8 et maintenu à ce niveau, le nombre de nouvelles infections quotidiennes sera réduit de moitié toutes les deux semaines. Le nombre de tests quotidiens positifs au SARS-CoV-2 serait alors en dessous de 500 au début 2021. Cela permettrait de réduire la charge sur les soins de santé, la société et l’économie. En outre, des mesures plus ciblées basées sur les tests et la recherche des contacts pourraient de plus en plus être utilisées.
L’analyse du nombre de cas au niveau national montre une diminution des infections. Le taux de reproduction Re pour l’ensemble de la Suisse est actuellement estimé en dessous de 0,8. L’analyse au niveau cantonal montre les valeurs les plus faibles – et donc la diminution la plus rapide du nombre de cas – dans la partie occidentale de la Suisse et dans les cantons ayant pris des mesures supplémentaires. Dans les autres régions, le taux de reproduction est actuellement supérieur à 0,8 dans de nombreux endroits, et certaines régions affichent actuellement un taux de reproduction supérieur à 1, ce qui signifie une croissance exponentielle du nombre de cas.
De nouvelles baisses de la température – et donc plus de temps passé à l’intérieur, où les taux de transmission sont plus élevés – font courir le risque d’une augmentation future du nombre de cas en Suisse.
Ce document résume également la situation et les évolutions des soins médicaux, et renvoie à une note d’information publiée récemment.
Situation épidémiologique
Contexte
Début octobre 2020, le nombre de tests positifs au SARS-CoV-2, d’hospitalisations, de patients en soins intensifs et de décès ont rapidement augmenté en Suisse. En réponse à cette situation, un certain nombre de mesures ont été introduites dans le but de réduire les infections. L’effet de ces mesures – et de leur mise en œuvre par la population – peut être analysé sur la base du nombre de reproduction Re, qui décrit le nombre d’infections secondaires par individu infecté. Si Re peut être maintenu en dessous de 0,8 pendant des périodes prolongées, le nombre de nouvelles infections quotidiennes sera réduit au moins de moitié toutes les deux semaines. Cela ramènerait le nombre de nouveaux cas quotidiens en dessous de 500 au début 2021. La diminution du nombre de cas réduit les pressions sur le système de santé, la société, et l’économie et permet une gestion plus efficace de l’épidémie (lien).
Dynamique actuelle
Sur la base des données recueillies jusqu’au 22 novembre 2020, nous voyons des indications d’un déclin de l’épidémie au niveau national (figure 1). Le taux de reproduction Re basé sur les cas confirmés (qui reflète la dynamique de la transmission le 12 novembre 2020) est de 0,78 [intervalle de confiance: 0,77-0,79]. Le Re basé sur les hospitalisations quotidiennes (qui reflète la dynamique de la transmission le 7 novembre) est de 0,86 [0,78-0,94]. Le Re basé sur le nombre de décès (qui reflète la dynamique de transmission le 1er novembre) est estimé à 1,03 [0,91-1,14]. Dans l’ensemble, ces trois indicateurs montrent une diminution du taux de reproduction depuis début octobre 2020, et les cas confirmés ainsi que les hospitalisations indiquent que l’épidémie est en recul. Il faut toutefois noter que la tendance nationale n’est pas observée dans tous les cantons (voir tableau 1).
Les données sous-jacentes sur lesquelles se basent ces estimations sont sujettes à des biais. Moins de tests ont été effectués au cours des dernières semaines en novembre 2020 (https://www.covid19.admin.ch/en/overview) et l’OFSP nous a informés que les annonces des hospitalisations se font avec du retard. Ces deux facteurs peuvent entraîner une sous-estimation de Re. Cependant, le taux de positivité a également diminué de >30% à <20%[1] et le Re basé sur les décès a diminué de manière très similaire à celui basé sur les autres indicateurs qui ont un délai moins important. En résumé, si nos estimations sur la base des cas confirmés et des hospitalisations pourraient être sous-estimées, nous interprétons les données actuelles comme indiquant un déclin de l’épidémie au niveau national.
On observe les mêmes tendances sur les temps de doublement du nombre de cas (ou de leur réduction de moitié). Le nombre de cas confirmés et d’hospitalisations est en baisse, tandis que l’augmentation de l’occupation des unités de soins intensifs et du nombre de décès ont ralenti par rapport au dernier rapport du 13 novembre (figure 2).
Un taux de reproduction inférieur à 0,8 a été atteint au niveau national, mais pas dans tous les cantons. En maintenant Re en dessous de 0,8 pendant des périodes plus longues, le nombre de nouveaux cas quotidiens sera réduit de moitié toutes les deux semaines (voir la figure 3 pour la relation entre Re et la durée de doublement/division par deux). En particulier, les cantons romands (FR, GE, VD, VS, NE et JU), où le nombre de cas a été élevé, ont atteint un Re significativement inférieur à 0,8 (voir tableaux 1 et 2). Certains cantons affichent un Re inférieur à 0,8, mais il se peut qu’il ne soit pas significatif car le faible nombre de cas y entraîne un grand intervalle de confiance. P lusieurs cantons ont par ailleurs encore un Re qui est significativement supérieur à 0,8, voire 0,9 ou 1. Cela signifie que la situation demeure fragile. Pour plus de détails, voir les estimations de Re ainsi que le tableau des valeurs de Re et des temps de doublement/division par deux.
L’analyse du degré de compliance (par ceux qui décrètent les mesures) et de ladhésion aux mesures (par la population) sera déterminante pour garantir un niveau élevé d’efficacité communautaire des mesures en place.
Il existe actuellement une surmortalité significative. L’Office fédéral de la statistique a signalé un surnombre de 1138 [879-1398] décès pour les semaines 43, 44 et 45 (se terminant le 8 novembre). Au cours de cette même période, 912 décès confirmés liés au COVID-19 ont été signalés par l’OFSP. La plupart de ces décès sont survenus dans des régions à forte incidence de SARS-CoV-2 (Région lémanique, Plateau, Suisse orientale). La figure 4 montre la surmortalité chez les personnes âgées de 65 ans et plus et le nombre de décès confirmés liés au COVID-19.
L’influence des conditions météorologiques sur la dynamique épidémiologique n’est pas entièrement comprise, mais la future baisse des températures exige de se préparer à agir rapidement. L’influence des conditions météorologiques sur la transmission du SARS-CoV-2 a fait l’objet d’intenses discussions depuis le début de la pandémie. La récente augmentation synchrone du nombre de cas dans l’hémisphère nord suggère que le temps froid favorise les transmissions, potentiellement de manière indirecte à travers des changements de comportement. Les changements météorologiques pourraient donc avoir contribué à l’augmentation rapide du nombre de cas en octobre en Suisse. Des futures baisses des températures et l’augmentation des activités à l’intérieur pourraient entraîner à nouveau une augmentation du nombre de cas. En raison du délai entre l’infection et le moment d’un test positif (après le développement des symptômes), une telle augmentation ne sera reconnue qu’avec un retard de plus d’une semaine. Se préparer à de telles situations et réagir rapidement peut permettre d’éviter que le nombre d’infections n’augmente sur de plus longues périodes. Nous étudions actuellement l’interaction entre les dynamiques météorologiques et épidémiologiques.
Différences régionales dans la deuxième vague
Au cours de la deuxième vague, les six cantons de la Romandie, qui connaissent actuellement le déclin le plus rapide ont connu le pic d’incidence le plus élevé. Entre le 24 et le 30 octobre, les six cantons ayant le plus grand nombre moyen de cas confirmés par 100 000 habitants par jour étaient le Valais (210), Genève (205), Fribourg (182), le Jura (156), Neuchâtel (153) et Vaud (134). Tous les autres cantons étaient en dessous de 101 cas durant cette période en moyenne (voir le tableau 2 pour plus de détails).
Les tendances observées sur le nombre de cas confirmés suggèrent que la vitesse de propagation en Romandie au cours de la deuxième vague n’a pas été exceptionnelle. Cela peut se voir en calculant le rapport entre l’incidence (par 100 000 habitants et par jour) à fin octobre (24 –30 octobre) et celle à mi-septembre (14 – 20 septembre). Ce rapport est le plus élevé dans le canton d’Uri (l’incidence a été multipliée par 151), suivi par Nidwald (137), le Tessin (80), Schwyz (76), le Jura (70), le Valais (57). Des cantons romands n’apparaissant qu’en cinquième et sixième position dans cette liste. Par ailleurs, si l’on considère les sept grandes régions, c’est le Tessin qui a le plus augmenté (de 80 fois), suivi de la Suisse centrale (44); la région lémanique a connu la croissance la plus faible (incidence multipliée par 15). Voir le tableau 2 pour plus de détails.
En résumé, la différence marquée entre la Suisse romande et la plupart des autres cantons en termes de pics d’incidence peut s’expliquer, au moins en partie, par des niveaux d’incidence plus élevés en Suisse romande avant la deuxième vague. Des analyses additionnelles sont nécessaires pour explorer les raisons de l’incidence plus élevée en Suisse romande avant la deuxième vague et examiner plus en détail les facteurs déterminant les taux de croissance. En outre, le nombre des infections cachées peut varier d’une région à l’autre et cette variation n’est pas prise en compte dans nos analyses.
Figure 1. Taux de reproduction Re selon les données jusqu’au 23 novembre (selon les données de l’OFSP).
Figure 2. Durées de doublement / de réduction de moitié selon les données jusqu’au 22 novembre (selon les données de l’OFSP et du SSC) : cas confirmés, hospitalisations, occupation des soins intensifs, décès.
Figure 3. Relation entre le taux de reproduction effectif Re et la durée de doublement et la demi-vie du nombre de nouvelles infections par le SARS-CoV-2. Les valeurs de Re supérieures à 1 indiquent une croissance exponentielle (ligne rouge), tandis que les valeurs inférieures à 1 correspondent à une baisse exponentielle (ligne verte). Les points indiquent les différentes situations de l’épidémie de SARS-CoV-2 en Suisse en 2020.
Figure 4. Excès de mortalité (65 ans et plus) et nombre de décès COVID-19 déclarés par semaine du calendrier. Les lignes grises indiquent les décès des années précédentes. La surmortalité est indiquée ici en soustrayant le nombre prévu de décès pour chaque semaine du nombre réel (OFS).
Tableau 1. Ce tableau indique le taux de reproduction et les temps de doublement/division par deux dans les différents cantons (avec des limites inférieures et supérieures), classés selon les limites supérieures de l’intervalle de confiance de Re. Seuls six cantons romands ont actuellement un Re inférieur à 0,8 de manière significative. La limite inférieure de la durée d’une division par deux est inférieure à 14 jours uniquement pour ces six cantons ainsi que pour Glarus. Plusieurs cantons ont un Re inférieur à 0,8, mais les intervalles de confiance sont grands en raison du faible nombre de cas (pour une comparaison, voir le tableau 2). Les cantons ayant une valeur > 0,8 de la limite inférieure de Re n’atteignent pas actuellement une réduction de moitié du nombre de cas en deux semaines ou moins, et les cantons ayant un niveau > 1 de la limite inférieure montrent une croissance significative du nombre de cas.
Tableau 2. Incidence par 100 000 habitants et par jour dans les cantons et les grandes régions de Suisse à la fin octobre (moyenne sur 7 jours faite du 24 au 30 octobre) et à la mi-septembre (moyenne sur 7 jours, du 14 au 20 septembre), ainsi que le quotient de ces deux valeurs.
Perspective clinique
La tendance de ces derniers jours indique qu’un plateau pour le nombre de patientes et patients hospitalisés, y compris dans les unités de soins intensifs, a été atteint, avec un nombre total d’hospitalisations et de patients admis aux soins intensifs plus élevé que lors de la première phase.
L’expérience dans les soins s’est accrue lors de la première vague. Pendant leur hospitalisation, les patients sont plus souvent traités avec de la dexaméthasone, un médicament ayant montré un avantage en termes de survie dans un grand essai clinique randomisé (https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2021436 ). Il n’est pas certain que cette réduction de la mortalité se produise pleinement en Suisse, pour deux raisons. Premièrement, la mortalité hospitalière en Angleterre est plus élevée (plus de 20%) qu’en Suisse, et il n’est pas certain qu’une réduction similaire de la mortalité serait également observée en Suisse. Deuxièmement, ce médicament a déjà été administré à une fraction des patients lors de la première vague en Suisse. Les raisons de la baisse de la mortalité en Suisse sont inconnues, mais peuvent être dues à : a) un triage pré-hospitalier des patients b) un meilleur niveau de santé générale de la population suisse, et c) une meilleure performance du système de soins de santé hospitalier.
Les traitements antiviraux n’ont pas permis jusqu’à présent de réduire la mortalité. Le Remdesivir n’a pas montré de bénéfice sur la mortalité globale dans les grandes études, y compris dans les essais randomisés. Un bénéfice éventuel ne peut être exclu dans un sous-groupe de patients (cas de COVID-19 graves mais non critiques, s’aggravant tôt après l’apparition des symptômes ; pourtant, les résultats n’étaient toujours pas significatifs, avec un effet de sous-groupe peu crédible par rapport aux patients critiques). Aucun bénéfice n’a été démontré chez les patients atteints d’une maladie légère ou modérée, ou chez les patients sous oxygénation extracorporelle par membrane ou sous ventilation mécanique. Le Remdesivir reste une option de traitement qui peut être envisagée chez les patients hospitalisés souffrant de pneumonie et nécessitant une supplémentation en oxygène, strictement dans le cadre des critères définis dans la déclaration de consensus (Société suisse d’infectiologie, Société suisse de médecine intensive, Société suisse de médecine interne générale), car il peut réduire la durée du séjour à l’hôpital.
Jusqu’à présent, plus de 280 000 personnes ont été diagnostiquées avec le SARS-CoV-2 en Suisse et plus de 11 000 patients ont été hospitalisés. Plus de 3 400 personnes sont décédées jusqu’à présent (Rapport hebdomadaire sur la situation épidémiologique en Suisse et au Liechtenstein, semaine 46, 19.11.2020). De nombreux patients présentent des symptômes et des séquelles après une hospitalisation, en particulier après une évolution grave et compliquée. Mais des conséquences à long terme sont également possibles dans le cas d’infections moins graves (voir https://ncs-tf.ch/fr/policy-briefs/langzeitfolgen-nach-einer-sars-cov-2-infektion-und-nach-einer-covid-19-erkrankung-19-nov-20-en-2/download).
Par conséquent, par analogie avec d’autres maladies dont l’évolution peut être grave, il est essentiel de garantir des capacités de réadaptation suffisantes pour limiter ces séquelles et réduire les éventuelles séquelles à long terme du Covid-19, y compris les conséquences sur la santé mentale. Comme l’indique la note d’information sur les conséquences à long terme de la maladie de COVID-19, ce domaine constitue encore une question de recherche, car une année ne s’est pas encore écoulée depuis l’arrivée de l’épidémie.
Résumé des policy briefs récemment publiées
La justification d’une augmentation substantielle du financement fédéral du traçage des contacts et des tests (Link)
Le nombre de tests du COVID-19 effectués en Suisse et les ressources disponibles pour le traçage des contacts se sont révélés insuffisants pour freiner efficacement l’épidémie. Nous recommandons que la Confédération soutienne les centres cantonaux de traçage des contacts sur le plan financier et, si nécessaire, de personnel (recours à la protection civile et au service civil). La stratégie de test, de traçage, d’isolement et de quarantaine (TTIQ) est cruciale pour contrôler l’épidémie tout en évitant un lockdown sévère. Le traçage des contacts a atteint ses limites devant l’augmentation explosive des cas en octobre 2020. La plupart des cantons ont déclaré ne plus être en mesure d’ effectuer tous les appels téléphoniques nécessaires pour retrouver les contacts des personnes testées positives. La Suisse a également un faible taux de dépistage en comparaison internationale. Nous soulignons que les mesures TTIQ n’ont pas besoin d’être parfaites pour avoir un impact économique positif. Après tout, chaque nouveau cas de Covid-19 qui peut être évité de cette manière est associé à des avantages significatifs. Sur le plan du rapport coût-bénéfice économique, les dépenses en matière de TTIQ constituent l’un des investissements les plus efficaces et les moins invasifs pour freiner la propagation de la pandémie. L’augmentation du financement public du TTIQ représente donc non seulement une bonne mesure de santé publique, mais aussi une politique économique saine.
[1] Noter néanmoins que les différentes stratégies de test peuvent influencer la positivité dans les deux sens. Par exemple, la positivité peut diminuer si les contacts des cas confirmés sont moins testés.